Il y a quelques années, je travaillais dans un bureau dickensien au
cœur de Londres. Une maison d’édition spécialisée avec, à sa tête, un infâme
Gripsou anachronique qui régissait sa compagnie comme en 1830. Nous étions une armée de petits ramoneurs,
tout juste diplômés, qui s’étaient fait leurrer par une annonce étincelante de
promesses dans le quotidien anglais le plus libéral.
Deux choses m’ont permis de survivre : une complicité rieuse, d’une
immédiateté enfantine, avec mon voisin d’en face, et la primale aura sexuelle
de mon chef d’équipe.
Avec son grand corps puissant et sa démarche de gorille Alpha, il avait
l’air d’un chasseur antique. Pas un métro-sexuel aux subtils airs
intellectuels, ou un de ces garçons aux traits fins à qui l’on a envie de tresser
les cheveux tant ils sont jolis.
C’était un homme.
Un vrai.
Il émanait de lui
quelque chose de terrestre et de rugueux. Il était très clair qu’il saurait
survivre dans la jungle sans téléphone portable, GPS ou sandwich.
Son sens de l’humour était
approximatif, il était socialement maladroit, son poste l’autorisait à me
donner des ordres et il avait l’air de se prendre très au sérieux, mais c’était indiscutablement une bombasse.
C’est une disposition schizophrène que je n’ai eu à l’égard de personne d’autre : une attirance sexuelle frisant l’indécence couplée à une indifférence intellectuelle totale. Il m’émoustillait et m’ennuyait simultanément. J’étais froide, hautaine, mauvaise, mais je me serais damnée pour un baiser.
Un amour de maternelle, en somme.
C’est une disposition schizophrène que je n’ai eu à l’égard de personne d’autre : une attirance sexuelle frisant l’indécence couplée à une indifférence intellectuelle totale. Il m’émoustillait et m’ennuyait simultanément. J’étais froide, hautaine, mauvaise, mais je me serais damnée pour un baiser.
Un amour de maternelle, en somme.
Très vite, un fanclub se développa.
(Une bombe sexuelle lâchée au
coeur d’un bureau peuplé de midinettes et de gays sous-payés ne passe pas
inaperçue.)
Pour pouvoir me pâmer en toute discrétion, sans que la compétition ne
se doutât de mes penchants, il fallut trouver un pseudo à la bête. Je la
surnommai : la Loutre.
On frôla la catastrophe lorsqu’un jour la loutre, qui était une
cycliste accomplie - et trop mâle pour opter pour un minable serre-pantalon -
arriva au bureau le mollet droit nu, ayant oublié de dérouler son pantalon
après ses exploits sportifs.
Il y eut des soupirs,
des palpitations,
une vague de malaises
et quelques sanglots.
Car qui n’a pas vu le mollet de la loutre n’a pas vécu.
Je savais que je ne pouvais quitter cette terre sans avoir passé une
nuit entre ses bras. Le monde a beau être cruel, il n’est pas idiot. Il savait que
je ne renoncerais jamais.
Des années plus tard, mon vœu a été accompli.
La loutre
et moi consommâmes enfin notre union.
C’était durant mon année de célibat.
Je pensais que l’univers répondait enfin à mes prières et qu’il me récompensait d’avoir été si sage. Il m’a offert la loutre, empaquetée et enrubannée, sur un plateau d’argent. Il m’a dit : éclate-toi, ma fille.
Je pensais que l’univers répondait enfin à mes prières et qu’il me récompensait d’avoir été si sage. Il m’a offert la loutre, empaquetée et enrubannée, sur un plateau d’argent. Il m’a dit : éclate-toi, ma fille.
Je ne me suis pas faite prier.
La loutre se cogna la
poitrine en grognant mâlement
avant d'empoigner notre jeune héroïne par sa (blonde et soyeuse) cheveulure et de la traîner dans son antre pour lui réciter de doux poèmes d'amour (ahem) .
C'était le script. Simple, efficace, brut.
La réalité fut, hélas, toute autre. Peau de bébé, craintive, complexée, la loutre était peu portée sur la violence ou les manifestations publiques d’affection.
Autant dire que le bureau des plaintes céleste a eu de mes nouvelles.
L’univers, peu impressionné par mon manque de gratitude, m’a retiré ce divin bonbon aussi sec.
Depuis, je vis une double perte : celle de ce
corps qui m’était bizarrement familier et, surtout, celle de mon fantasme
préféré, qui m’avait tenu chaud pendant 6 ans.