Dans ma jeunesse,
je frôlais la crise de nerfs à la simple vue d’un écureuil. Trop de vert me
rendait agressive, et je ne passais jamais plus de deux jours d’affilée hors
d’une capitale.
Depuis, j’ai vécu
deux ans en apnée.
Enfin, à la campagne. Et pas n'importe laquelle.
Cet accident de
parcours m’a permis de dresser une liste d’accomplissements dont je ne
suis pas peu fière.
1. Je cause le
chien. Les bestioles à poil sont mes amies.
2. Le gazon ne
déclenche plus chez moi de crises d’urticaire aigüe. Juste un vague sentiment de claustrophobie et
une légère nausée.
3. J’ai planté une
graine qui s’est transformée en fleur. Sous mes yeux. C’était magique.
(Enfin, la vraie
histoire, c’est que j’ai - accidentellement - planté 1000 graines dans un espace de
15 cm2. Et ce que j’ai vu pousser, ce n’est pas une fleur, mais une guerre
civile végétale où les coquelicots massacraient les marguerites pour 0,01 lux supplémentaire. Les fleurs avaient la haine de l'autre et la rage de vivre, elles
poussaient à plat et quasi à l’envers dans un enchevêtrement de malade. C’était terrible. L’hécatombe champêtre.) La vie, la mort, miracle, tragédie... c’est la même chose
au fond. Bref.
4. Je suis à
présent l’heureuse propriétaire de vêtements d’ « extérieur » - moi,
la créature d’intérieur, le chiffon humain par excellence. Des trucs cirés,
imperméables, chauds, costauds, criards, franchement laids. J’ai toute la panoplie, en rose fluo. J'ai même pas peur
de la mort.
Mais n'allez pas croire que ce fut facile. On ne s’improvise pas rat des champs quant on a passé
30 ans joyeusement encerclé de bitume. Je me suis frottée au grand air et m’y
suis piquée.
Mon enthousiasme était beau à voir aux premiers jours. J’ai jardiné, pêché, affronté des vaches belliqueuses, risqué ma vie à vélo, photographié des piafs dans tous
leur états, étoffé ma collection de coquillages, présenté mes hommages à la mer, touché un merlan de mes blanches mains, cuisiné et englouti ledit
merlan...
Je ressentais, face à ces activités étrangement saines, une terreur et un émerveillement
tout enfantins.
Mais les grands espaces accompagnés de tout ce temps qui s’étale, s'étire et
n’en finit pas ont fini par m’angoisser. Je me suis mise à voir des fantômes et j’ai développé une peur existentielle du noir.
Je frôlais
simultanément et quotidiennement l’épiphanie et la lésion cérébrale.
Mais au lieu de cohabiter avec Casper,
J’ai préféré me défaire de
mon bouseux
J’ai donc plaqué le
paysan-en-civil, que j'avais bê(a)tement suivi jusque
dans ces contrées barbares.
Je l’ai laissé à sa retraite anticipée, sa bouse vitale, son
verdoyant tombeau - j’espère qu’il trouvera la mortelle à la disposition
enthousiaste, aux joues roses et aux hanches larges qui lui portera des enfants
et une dévotion sans faille.
Pour ma part, je
tombe les grosses bottes de randonnée, les jeans usés par les griffes de chiens déchaînés et le sel marin. Je rentre à Londres, humer sa pollution et
roucouler de plaisir dans son métro bondé. Des hommes, des femmes, de toutes
les couleurs et de toutes les tailles ! Des
gras, des nains, des rougeauds, des pâles, des emphatiques, des blasés – je
troque mon ungentleman-farmer pour le monde entier.
C’est l’affaire du
siècle.
2 commentaires:
Quel bonheur de retrouver ta gouaille !
Enfin te revoilà, à croire que la nature avait mangé ta plume.
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