jeudi 17 octobre 2013

L'échappée belle


Dans ma jeunesse, je frôlais la crise de nerfs à la simple vue d’un écureuil. Trop de vert me rendait agressive, et je ne passais jamais plus de deux jours d’affilée hors d’une capitale.

Depuis, j’ai vécu deux ans en apnée. 
Enfin, à la campagne. Et pas n'importe laquelle.


Cet accident de parcours m’a permis de dresser une liste d’accomplissements dont je ne suis pas peu fière.
     1. Je cause le chien. Les bestioles à poil sont mes amies.
    2. Le gazon ne déclenche plus chez moi de crises d’urticaire aigüe. Juste un vague sentiment de claustrophobie et une légère nausée.
     3. J’ai planté une graine qui s’est transformée en fleur. Sous mes yeux. C’était magique.
(Enfin, la vraie histoire, c’est que j’ai - accidentellement - planté 1000 graines dans un espace de 15 cm2. Et ce que j’ai vu pousser, ce n’est pas une fleur, mais une guerre civile végétale où les coquelicots massacraient les marguerites pour 0,01 lux supplémentaire. Les fleurs avaient la haine de l'autre et la rage de vivre, elles poussaient à plat et quasi à l’envers dans un enchevêtrement de malade. C’était terrible. L’hécatombe champêtre.) La vie, la mort, miracle, tragédie... c’est la même chose au fond. Bref.
   4. Je suis à présent l’heureuse propriétaire de vêtements d’ « extérieur » - moi, la créature d’intérieur, le chiffon humain par excellence. Des trucs cirés, imperméables, chauds, costauds, criards, franchement laids. J’ai toute la panoplie, en rose fluo. J'ai même pas peur de la mort.
Mais n'allez pas croire que ce fut facile. On ne s’improvise pas rat des champs quant on a passé 30 ans joyeusement encerclé de bitume. Je me suis frottée au grand air et m’y suis piquée.
Mon enthousiasme était beau à voir aux premiers jours. J’ai jardiné, pêché, affronté des vaches belliqueuses, risqué ma vie à vélo, photographié des piafs dans tous leur états, étoffé ma collection de coquillages, présenté mes hommages à la mer, touché un merlan de mes blanches mains, cuisiné et englouti ledit merlan... 

Je ressentais, face à ces activités étrangement saines, une terreur et un émerveillement tout enfantins. 



Mais les grands espaces accompagnés de tout ce temps qui s’étale, s'étire et n’en finit pas ont fini par m’angoisser.  Je me suis mise à voir des fantômes et j’ai développé une peur existentielle du noir. 


 Je frôlais simultanément et quotidiennement l’épiphanie et la lésion cérébrale.  

Mais au lieu de cohabiter avec Casper, 
 
J’ai préféré me défaire de mon bouseux
 
J’ai donc plaqué le paysan-en-civil, que j'avais bê(a)tement suivi jusque dans ces contrées barbares.
Je l’ai laissé à sa retraite anticipée, sa bouse vitale, son verdoyant tombeau - j’espère qu’il trouvera la mortelle à la disposition enthousiaste, aux joues roses et aux hanches larges qui lui portera des enfants et une dévotion sans faille.
Pour ma part, je tombe les grosses bottes de randonnée, les jeans usés par les griffes de chiens déchaînés et le sel marin. Je rentre à Londres, humer sa pollution et roucouler de plaisir dans son métro bondé. Des hommes, des femmes, de toutes les couleurs et de toutes les tailles ! Des gras, des nains, des rougeauds, des pâles, des emphatiques, des blasés – je troque mon ungentleman-farmer pour le monde entier.
C’est l’affaire du siècle.


2 commentaires:

Unknown a dit…

Quel bonheur de retrouver ta gouaille !

Anonyme a dit…

Enfin te revoilà, à croire que la nature avait mangé ta plume.