jeudi 30 août 2007

Elégie

Il fait presque moche - un entre-deux gris et de mauvais augure - ça sent l’orage et le drame.
La qualité rédemptrice de l’Angleterre, c’est qu’elle légitime les conversations météorologiques. En fait, elle fait plus que ça: à elle seule, elle est un manifeste sur la nécessité sociale de râler contre le mauvais temps. Ca crée des liens, une forme d’empathie, un socle commun. Comme la télé, le climat anglais est une culture populaire.

Ce temps me fait penser à Jean d’Ormesson, dans son Autre Histoire de la Littérature Française. Il parle de Marceline Desbordes, un(e) poète (je me pendrai avant de dire poétesse) qui s’est arraché les tripes et les a couchées sur le papier. Ni gore ni trash, juste incroyablement émouvante- chaque poème est une impeccable mélodie d’une tristesse absolue. Et il a appelé ça : des orages en rubans.
Il a choisi Marceline dans son anthologie, je sais. Il l’admire, ça va de soi. Mais je trouve cette expression, aussi imagée soit-elle, horriblement condescendante. Alors Baudelaire, c’est des extases-en-bordels, et Mallarmé, des nuages de papier.
Mais je n’arriverai pas à rendre compte de sa condescendance lapidaire en la transposant.

Marceline était femme et mère, et contrairement à George Sand, n’a jamais essayé de nier ce statut ou d’en revendiquer un autre. Dès lors, les hommes (même les plus féroces de l’époque) l’avaient adoptée: elle était le sentiment pur et sans artifice, la femme qui aime comme on voudrait être aimé quand on se prend pour un dieu. Baudelaire, Sainte Beuve, Hugo étaient tous des admirateurs. Et Verlaine s’en est même inspiré - elle n’inspirait pas qu’on lui jette un bénitier à la figure, comme la mère Sand. Elle souffrait sans outrepasser ses droits, une vraie glorification de l’épouse/mère.
C'est une horrible instrumentalisation masculine qui, sous couvert de flatteries, jette un exemple au visage des femmes : vous voyez, nous savons vous admirer quand vous n’outrepassez pas vos limites.

Mais assez de digressions, revenons à Marceline.

Si Sido, chez Colette, est la mère dans toute sa splendeur – une figure capitale, mythologique, quasi cosmique – Marceline est la mère dans toute sa douleur. Sa vie est terrible. Née a Douai en 1786, elle est orpheline à 15 ans, malheureuse en amour et, mère de 5 enfants, en perd quatre en bas âge. Une rivière douloureuse, des torrents de chagrin aux rythmes fluides et aux vers poignants. Les jupons n’ont rien à voir là dedans.

Voilà deux poèmes, que je ne peux pas lire sans sangloter (par conséquent, je ne m’y risque pas et rends grâce au copier-coller) :

A Inès, 11 ans, qui pensait être moins aimée que les autres et qu’elle a veillée 14 nuits avant de la voir mourir:

Inès

Je ne dis rien de toi, toi, la plus enfermée,
Toi, la plus douloureuse, et non la moins aimée !
Toi, rentrée en mon sein ! je ne dis rien de toi
Qui soufres, qui te plains, et qui meurs avec moi !

Le sais-tu maintenant, ô jalouse adorée,
Ce que je te vouais de tendresse ignorée ?
Connais-tu maintenant, me l'ayant emporté,
Mon coeur qui bat si triste et pleure à ton côté ?


L'âme errante

Je suis la prière qui passe
Sur la terre où rien n'est à moi ;
Je suis le ramier dans l'espace,
Amour, où je cherche après toi.
Effleurant la route féconde,
Glanant la vie à chaque lieu,
J'ai touché les deux flancs du monde,
Suspendue au souffle de Dieu.

Ce souffle épura la tendresse
Qui coulait de mon chant plaintif
Et répandit sa sainte ivresse
Sur le pauvre et sur le captif
Et me voici louant encore
Mon seul avoir, le souvenir,
M'envolant d'aurore en aurore
Vers l'infinissable avenir.

Je vais au désert plein d'eaux vives
Laver les ailes de mon coeur,
Car je sais qu'il est d'autres rives
Pour ceux qui vous cherchent, Seigneur !
J'y verrai monter les phalanges
Des peuples tués par la faim,
Comme s'en retournent les anges,
Bannis, mais rappelés enfin...

Laissez-moi passer, je suis mère ;
Je vais redemander au sort
Les doux fruits d'une fleur amère,
Mes petits volés par la mort.
Créateur de leurs jeunes charmes,
Vous qui comptez les cris fervents,
Je vous donnerai tant de larmes
Que vous me rendrez mes enfants !


Je ne sais pas pourquoi je nous inflige ça.
Son poème le plus connu, pour se changer les idées:

Les roses de Saadi

J'ai voulu ce matin te rapporter des roses ;
Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les noeuds trop serrés n'ont pu les contenir.

Les noeuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer s'en sont toutes allées.
Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir ;

La vague en a paru rouge et comme enflammée.
Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée...
Respires-en sur moi l'odorant souvenir.

2 commentaires:

P. a dit…

Marceline! Personne ne t'aime a part moi!

Anonyme a dit…

Je viens de lire ce que tu as écrit sur Marceline, c'est très émouvant, je l'aime aussi.